Expérience de travail volontaire au Honduras

Micheline Goudreau
Été 2001

 

Je suis partie pour le Honduras le 6 juin dernier en compagnie de Ludovic (19 ans), Gérard (un psychologue retraité) et Ismaël. Ludovic et moi formions un «groupe» suite à la formation de 12 semaines que nous avions suivie avec Renaude, à Mer et Monde, avec 8 autres bénévoles.

J'étais excitée quoique nerveuse dans l'avion; je n'étais jamais allée en Amérique latine ni n'avais fait l'expérience véritable de la pauvreté, c'était d'ailleurs un de mes objectifs : voir la pauvreté, la côtoyer et entrer en contact avec ces gens plus démunis qui pourtant vivent ou survivent. J'ai eu un léger choc dès mon arrivée en voyant en taxi les rues délabrées qui menaient à la maison de Mer et Monde ainsi qu'une maison qui me semblait abandonnée - et qui était en fait en construction. Puis, il y avait cette chaleur intense qui donnait juste l'envie de porter un short - malgré les « recommandations » de Michel Corbeil.

J'ai passé la première semaine à visiter un peu Tegucigalpa et certains des organismes affiliés à Mer et Monde où j'aurais pu aller travailler :

  • AGAPE (centre pour jeunes de la rue)
  • Deux garderies (Los Pinos et Villa Nueva).

Se promener dans la ville, prendre l'autobus, ne pas s'accrocher dans les barbelés de la rue Miraflores, aller au grand marché, visiter Los Pinos à pied étaient en soi autant d'expériences pour moi. Je dois avouer que les images de vie pauvre et défavorisée les plus frappantes que je retienne datent de cette visite par un chaud après-midi à Los Pinos, alors que Martin me racontait les maisons étroites en adobe (briques de terre rouge), l'eau difficile d'accès et gobée par ceux qui ont le luxe d'une pompe, les éboueurs qui ne passent pas, les conjoints partis, etc. Et moi de demander alors : « Mais crois-tu qu'avec une bonne éducation et un peu de volonté, ces enfants peuvent espérer s'en sortir? » …et Martin de me répondre : « Je te le dirai plus loin, une fois qu'on aura marché un peu dans les quartiers de Los Pinos, une fois que tu auras vu à quoi ça ressemble…. » Il n'a pas eu à me répondre, car ce jour-là, alors que nous le suivions par des sentiers parfois boiteux, parfois à pic, souvent étroits ou encombrés de déchets, j'a compris ce que cela devait être que d'y passer sa vie… et je réalisais, comme il me le disait, que les conditions étaient loin d'être réunies pour qu'un enfant soit prêt à performer à l'école, repu et soutenu par une mère disponible.

Le 5e jour après mon arrivée, je visitais enfin Hogar Bencaleth, ce centre pour enfants handicapés et/ou négligés que Martin avait déniché pour moi, dans Cerro Grande, à Tegucigalpa et dont il m'avait parlé depuis le printemps par Internet. Ma première impression a été positive, malgré les lacunes que je voyais déjà dans l'animation offerte aux enfants, plutôt laissés à eux-mêmes en après-midi. Le lendemain, alors que je reconduisais Ludovic à Hogar Diamante, si propice à l'amusement, à l'apprentissage…, lorsque je suis finalement entrée à Bencaleth le 13 juin où c'était jour de fête et de Piñata. Un conte à caractère biblique et quelques chants avaient aussi été prévus par les croyants qui étaient venu visiter les enfants…. Je me rappelle avoir été passablement choquée en entendant ce jour-là une femme pasteur (!) dire à un des enfants en chaise roulante que pour aller au ciel, il n'avait qu'à répéter après elle qu'il voulait recevoir Jésus dans son cœur, sans quoi il irait en enfer, dans cet endroit maudit. Comme si Dieu (s'il existe) allait réserver un tel sort à ces pauvres enfants limités dont la vie était déjà assez difficile comme ça.

Ma première semaine à Bencaleth n'a pas été facile, j'avais hâte de revoir Ludovic pour lui en parler. J'a réalisé plusieurs choses sur Bencaleth et son fonctionnement; j'ai eu à m'adapter à plusieurs choses à commencer le manque d'eau, le grand manque d'hygiène et les repas peu variés, peu nutritifs quant à moi. Ainsi ai-je appris à me laver avec un seau, à l'eau froide, une eau que je devais aller puiser à la chaudière. Une des choses qui me manquait beaucoup et que je trouvais pourtant si simple, c'était un peu de chaleur humaine, de conversation lors des repas. J'ai toujours été impressionnées par la rapidité voire la froideur avec laquelle les gens mangent la plupart du temps à Bencaleth. Manger n'était plus un acte social agréable, c'était une routine, presqu'une formalité. Pas la peine de se forcer pour s'asseoir près les unes des autres sur une grande table…et moi qui comptait sur cette chaleur humaine pour compenser pour les difficultés que je vivais, d'autant plus que j'étais malade à mes débuts à Bencaleth.

Parmi ces « difficultés », citons l'odeur nauséabonde des toilettes proches de ma chambre, le réveil à 6h00, 6h30 avec les cris des enfants, quelques difficultés à comprendre les gens parfois et à me faire comprendre et, surtout, à être sur la même longueur d'onde que les employées.

Les enfants handicapés aussi venaient toucher une corde sensible chez moi, au fil des contacts. Quand j'y repense, je me rappelle avoir involontairement reporté la prise de contact avec les plus repoussants d'entre eux, les plus « prenants » au premier regard. C'était plus facile de jouer avec ceux qui semblaient normaux, plus vifs…. Plus tard, cette barrière inconsciente a disparu et voilà que je voulais passer plus de temps avec les plus atteints parce que je savais qu'ils en avaient plus besoin. Je repense à un enfant de 7 ans, par exemple, qui en paraissait 4 : il souffrait d'une maladie qui lui avait laissé un corps maigre, sans muscles, mais rigide, plein de contorsions incroyables. Il était incapable, par exemple, de décroiser ses jambes, de déplier ses bras et ses poignets volontairement. Impossible d'avoir un contact visuel avec lui, il semblait perdu dans son monde, attaché toute la journée dans son fauteuil roulant, dont d'ailleurs il glissait si on n'y prenait gare. Le plus triste, c'est quand il n'avait même pas assez de mouvements volontaires pour chasser les mouches qui se posaient sans cesse sur son visage, ses lèvres.

Je me rappelle qu'au début, je suis vraiment passée par toutes sortes d'émotions et impressions quant à la continuité de mon stage à Bencaleth. Souvent j'ai voulu quitter parce que je sentais que ce milieu n'était pas l'idéal de ce que je recherchais. J'avais parfois cette impression de travailler pour rien, toute seule et de ne pas être comprise comme je le voulais. Un des points tournants a eu lieu quand j'ai réalisé que je ne pourrais même pas offrir une véritable aide durable à Bencaleth en faisant de la formation des employées… parce que celles-ci changeaient à tous les 3-4 mois. De toute façon, seule une minorité démontrait un intérêt par mes conseils. Débordées, épuisées, mal payées, avec seulement 4 jours de congé par moi (où elles pouvaient enfin quitter Bencaleth et voir leur famille et leur copain), ce n'était pas le contexte idéal pour faire de la formation, pour leur enseigner des choses… Et de toute manière, seule et me sentant plus ou moins compétente, je me voyais mal réussir à leur inculquer des manières de faire plus sécuritaires, plus appropriées ou plus hygiéniques, alors qu'elles avaient toujours procédé ainsi… Et pourtant, cela me semblait si important, si évident! Par exemple, rien ne sert de nourrir à la hâte les enfants avec de grosses bouchées. Il n'est pas prudent de nourrir un enfant lorsqu'il est couché qui a de la difficulté à avaler car il risque de s'étouffer davantage.

Je réalisais alors ce qui m'est apparu comme l'une des conséquences perverses de la pauvreté : le manque de connaissances, de formation. Je réalisais que si j'avais la « chance » de regarder ces enfants autrement, en voyant leur potentiel d'autonomie et leurs émotions, ce n'était pas seulement par intérêt pour la réadaptation, mais aussi probablement parce que j'avais eu des cours, des stages qui m'avaient inculqué cette manière empathique et positive de penser. Il m'a fallu beaucoup d'humilité, je crois, pour accepter que faire de la « coopération internationale » devrait vouloir dire dans mon cas ne pas espérer que l'aide que j'apporte soit durable et survive à mon départ. Lili, la coordonnatrice à l'époque, me l'a appris sans le vouloir lorsqu'elle me racontait comment tout était tombé à Bencaleth lorsqu'un couple de Suisses bénévoles, restés 3 mois, était parti.

J'aurais peut-être trouvé mon expérience là-bas moins difficile si j'avais connu le privilège de vivre dans une famille hondurienne, ce qui n'a pu être le cas, car celle qu'on m'avait trouvé s'est finalement désistée, faute de place pour moi à l'arrivée de leur parenté. J'aurais alors quitté Bencaleth tous les soirs à 17h, sagement, et aurait pu penser à autre chose jusqu'au lendemain. Mais je suis restée finalement….et je ne regrette pas d'avoir passé toutes ces soirées et ces nuits là-bas, car j'ai pu entrer davantage en contact avec les employées et les enfants, prendre part à leur quotidien et surtout apprécier tout le labeur des employées.

L'arrivée de Nathaël à Bencaleth au début de juillet a changé beaucoup la dynamique là-bas et m'a vraiment motivée. Enfin, j'avais quelqu'un avec qui parler français, avec qui partager mes impressions, mes émotions, avec qui cogiter sur le travail à faire. Quelqu'un qui me comprenne et me motive, quoi! Ça m'a donné à nouveau la motivation et l'envie de rester. Et dieu merci, car ensemble, je crois que nous avons fait de belles choses. Plus tard, le 18 juillet, quand je suis allée faire un tour à Diamante pour comparer et évaluer à quel point j'avais apprécié l'expérience, je savais au fond de moi, que quoi que j'en pense, je reviendrais à Bencaleth, où j'avais ma place, mes racines et une collègue ergothérapeute. Et puis, je ne peux le cacher, je m'étais vraiment attachée à ces enfants, si mignons, si affectueux, si faciles à aimer pour la plupart, et je savais qu'il valait mieux continuer mon travail commencé avec eux.

Mon travail, quel était-il au juste? J'ai eu le plaisir de pouvoir le choisir tout le long du stage, de n'avoir jamais rien qui me soit imposé. En somme, j'essayais d'être avec les enfants le plus possible. Le matin, je faisais de la « thérapie » avec le technicien en physiothérapie qui travaillait là, Ricardo. C'était un moment privilégié pour aider les enfants les plus atteints, apprendre et échanger avec Ricardo. J'essayais de lui faire connaître ma vision « ergo » des choses, tout en intégrant sa vision « physio ». Nous nous motivions l'un l'autre. Le plus intéressant, c'était son ouverture d'esprit et sa flexibilité. Il était toujours prêt à essayer autre chose. L'après-midi, je lisais les dossiers des enfants, je jouais avec eux, je les sortais quand je le pouvais, dans le quartier et les alentours de Bencaleth. Je voulais qu'ils voient autre chose que ces murs où on les avait placés, surtout ceux qui, apparemment « normaux » quitteraient lorsqu'ils seraient grands, parce que plus autonomes. Parfois aussi, je faisais un peu de « thérapie » avec certains, que j'emmenais alors dans la salle de thérapie, une grande salle de jeu. En soirée, ça continuait selon mon humeur et ma fatigue. J'aimais aller jouer dans la salle de thérapie avec les enfants ou sur le terrain de Bencaleth, j'aimais leur chanter des chansons ou leur conter des histoires parfois avant qu'ils ne s'endorment. Je me tenais alors beaucoup avec le petit groupe des sept qui avaient la chance de marcher et s'exprimer presque sans problème, les
« normaux ».

Je me suis longtemps culpabilisée de leur accorder plus de temps qu'aux autres, les « handicapés ». Je me disais que ces derniers en avaient plus besoin que ceux-là, car plus délaissés… Mais en même temps, c'était tellement plus facile d'aller vers ceux qui courant, babillant, me serrant des leurs bras, savaient me demander cette affection qui leur manquait tant. Mais quand je pouvais, je les réunissais tous dans mes activités et c'était alors si beau de les voir, ceux qui marchaient poussant les plus vieux en chaises roulantes, les intégrant dans leurs jeux.

J'adorais les rendre heureux, ces enfants…. et c'était souvent si facile. Leurs bonheurs étaient simples : une marche au belvédère (le fameux mirador) ou sur une montagne toute proche, un milkshake au bananes (leur seul dessert), une chanson, un conte.

Globalement, voici une liste des choses que j'ai faites en thérapie.

Avec les enfants handicapés physiquement :

  • étirements, relâchement musculaire, massages
  • exercices pour renforcer le tonus et le contrôle musculaire, pour diminuer la spasticité, améliorer et maintenir la motricité fine
  • exercices sur les ballons d'intégration sensorielle : stimulation sensorielle vestibulaire et proprioceptive
  • exercices pour garder les muscles de la respiration fonctionnels : souffler dans une paille, tenir une note
  • pose d'orthèses
  • positionnement en fauteuil roulant, ajustements de fauteuil roulant et tentative de diminuer les plaies de pression
  • enseignement de techniques de transfert (tentatives)
  • pratique de l'habillage autonome - incluant lacer ses souliers
  • manipulation d'objets, jeu avec des instruments de musique
  • essais de positionnement et de textures d'aliments pour améliorer la déglutition lors des problèmes d'alimentation
  • etc.

avec tous les enfants qui le pouvaient et le voulaient :

  • dessin, écriture, répétition de formes
  • jeux de ballon (entre autres, soccer avec la tête pour les enfants en chaise roulante), jeux de mains, jeux de marelle, jeux de corde à danser, Lego, jeux avec des blocs (faire une tour)
  • jeux de mémoire, jeux du téléphone, jeux de cachette
  • jeux d'association d'animaux (avec des toutous)
  • jeux de cartes, jeu de Tangram, casse-tête
  • ateliers de bricolage
  • etc.

J'ai aussi aidé la professeur de Bencaleth à plusieurs reprises avec sa classe. J'ai tenté d'enseigner comment lire l'heure et faire des suites de cartes à ses élèves (une classe de 6 enfants avec dystrophie musculaire et léger retard mental). De plus, j'ai essayé au mieux de mes connaissances d'améliorer le langage expressif de deux enfants avec des problèmes de langage (thérapie devant le miroir)… En fait, j'essayais essentiellement de stimuler ces enfants en appliquant mes connaissances ergothérapiques.

Moi qui trouvais que je n'avais pas autant fait que je l'aurais voulu, je prends conscience en écrivant ces lignes que je me suis pas mal donnée en 1 mois et demi à Bencaleth. Je réalise que j'ai fait plus de choses que je ne le croyais et que même si mon aide n'est peut-être durables au sens tangible du terme, elle le sera sûrement dans la mémoire de ces enfants pour quelques années encore. Elle aura apporté de beaux instants de bonheur et elle aura en tout cas des conséquences durables sur moi. Ces conséquences, les voici, en quelques mots à travers ce que je retiens en bout de ligne d'une telle expérience, à la suite de mes réflexions.

Je retiens premièrement que je suis très chanceuse d'avoir tout ce que j'ai ou ai eu au Québec, au Canada. De la nourriture, de l'eau en abondance, le soutien de mes amis, une formation universitaire, un milieu de vie sain, en apparence propre, peu pollué et sécuritaire. J'ai réalisé au Honduras à quel point je chérissais ma propre culture, ses valeurs, ses possibilités, son « avancement » - si je peux me permettre. Malgré cet individualisme qu'on pointe toujours du doigt au Québec, à Montréal surtout, j'ai pris conscience que ma patrie avait malgré tout des valeurs humaines d'unité familiale, de justice sociale, d'égalité entre les sexes qui n'ont pas d'écho au Honduras. Un père ne peut abandonner ses enfants au Québec avec la même facilité qu'au Honduras, il me semble. Et puis, à voir tout ce beau monde généreux et ouvert d'esprit réuni à Mer et Monde, j'appréciais encore plus ce milieu de vie qui m'avait transmis, je crois, le goût d'aider les autres et surtout m'avait donné les moyens de le faire, à travers ces dizaines d'organismes humanitaires disponibles. Je réalisais finalement à quel point j'appréciais cette tranquilité d'esprit que permet l'assurance de ne manquer de rien, d'eau, de nourriture, ni d'argent.

Je suis évidemment très contente d'avoir fait cette expérience pour réaliser tout cela et prendre enfin conscience des visages que peut avoir la pauvreté, pauvreté dont on entend parler mais qu'on imagine toujours mal. Pauvreté, qui a toujours bien des conséquences implicites, à commencer parfois par le manque de connaissances et de conscientisation, qui fait que se perpétuent des comportements « nuisibles ». Je pense par exemple à ces filles adolescentes qui ont des enfants mais jamais de conjoints ou à cette eau qu'on ne bout pas toujours, alors qu'on sait qu'elle n'est pas bonne à boire. J'ai aussi beaucoup appris de ces deux jours à Pueblo Nuevo, avec Ricardo et Nathaël. Petit village sans électricité, j'y ai connu le rythme de vie des soirs sans lumière, des tortillas de maïs moulu à la main, des pains cuisinés au four à bois. J'ai aimé ce rythme tranquille, même s'il n'était pas le mien… Je retiens malheureusement de ce village l'attitude cavalière (euh…macho?) des jeunes hommes le soir venu, qui pensent nous attirer comme des chiens dans leur filets. Mais je retiens aussi la beauté de ces enfants qui, pieds nus ou en minces sandales marchent sans gêne sur des chemins où je peine avec mes soulier, ces enfants joyeux qui d'une balle et d'un terrain vague se font un jeu de soccer.

Je ne saurais dire aisément comment ce voyage m'a transformée. C'est sûr que je vois le monde différemment aujourd'hui, que je m'offusque davantage devant notre gaspillage ou notre luxe de Nord-Américains. J'ai peut-être développé sans le vouloir une allergie au snobisme et au faste inutile. J'a acquis en tout cas une vision plus juste du monde avec cette expérience de pauvreté, je sais maintenant que nos pauvres, quant à moi, ne se comparent pas à ceux de l'Amérique latine. Nous avons ici des moyens, des ressources qui font que la pauvreté est moins matérielle et peut-être plus relationnelle. On souffre davantage de solitude ici, avant de mourir de faim; nous avons mille et un organismes implantés pour nous venir en aide. Je sais aussi que malgré tout ce que j'en ai dit, j'ai tant apprécié cette expérience d'aide humanitaire que je serais prête à la renouveler. Je crois sincèrement que je retournerai au moins une fois dans ma vie aider bénévolement dans un pays du tiers-monde et si possible, je rendrai visite à nouveau à ces enfants que je chéris et plains à la fois.

Je les plains parce qu'en plus d'avoir eu un début de vie difficile, ils vivent dans un milieu certes mieux que celui qu'ils ont quitté, mais loin d'être idéal. Bencaleth, organisme sans but lucratif et non gouvernemental, repose sur la volonté et les efforts d'un seul homme, Don Rafael, qui par malheur se nuit, selon moi, en voulant appliquer son « programme » de manière autoritaire, dans un tel contexte de pauvreté. Le congédiement de Lili, le lendemain de mon départ le 1er août, me le prouve plus que tout. Ce renvoi ayant pour cause une bagatelle indique une rigidité d'esprit qui fait fi des véritables besoins des enfants. Quand je pense que Don Rafael n'a pas considéré les conséquences émotionnelles de ce renvoi précipité sur les enfants, je ne les plains que davantage. Et je réalise à nouveau à quel point, ce faisant, il n'offre pas un milieu de stage où, administrativement, j'aime travailler. J'ai toujours trouvé dommage que malgré un tel contexte de peu de moyens, le paraître et les apparences réussissent trop souvent à primer sur les priorités. Je n'aurais pas cru cela d'un orphelinat d'Amérique latine si je ne l'avais pas vécu. J'en retiens donc que ce souci du bien-paraître n'est pas que l'apanage des riches et peut occulter les vraies valeurs à bien des gens, ces valeurs que toute ma vie j'essaierai de vivre, en tentant de faire le bien autour de moi, comme j'ai essayé de le faire cet été. Je ne saurais conseiller d'envoyer ou non d'autres bénévoles à Bencaleth. Tout dépend de la personnalité du bénévole, j'imagine, et de la somme de temps passé là-bas. Il faut être bien soutenu en tout cas, pour ne pas flancher et garder sa motivation. Je concluerai par un merci à l'endroit de Mer et Monde qui m'a permis de vivre, malgré tout, un très bel été et qui a été pour moi un oasis québécois énergisant lors des moments de questionnement.