La lutte féministe continue!

Par Alessandra Pozzi, Coordonnatrice de programme à Mer et Monde

En mars 2018, j'ai eu l'immense privilège de participer au Forum social mondial qui s'est déroulé à Salvador de Bahia au Brésil. Le Forum social mondial est né en 2001 à Porto Alegre d'une initiative de plusieurs organisations brésiliennes de créer une alternative au Forum économique mondial qui se déroule chaque année à Davos en Suisse. Émergeant du mouvement altermondialiste, le Forum social mondial se veut un espace (ou un acteur, à vous d'en débattre!) ouvert qui permet à la société civile du monde entier de se réunir pour réfléchir à des alternatives au modèle néolibéral dominant. Les activités du Forum social mondial, que ce soit des ateliers autogérés, des assemblées de convergence, des prestations artistiques, des marches ou toute autre activité spontanée, se déroulent dans un esprit de solidarité et de participation inclusive. Dans les lignes qui suivent, je vous ferai voyager dans un des moments les plus marquants de mon expérience.

L’assemblée des femmes du Forum social mondial s’est tenue dans le centre historique de la ville de Salvador au Brésil. Au soleil plombant, entourées de maisons colorées et monuments coloniaux, des femmes de partout dans le monde prennent parole pour s’exprimer librement, faire entendre leur voix haut et fort, s’indigner, se rebeller et unir leurs forces pour dénoncer les violences basées sur le genre. La foule est pleinement engagée, on se déchaine pour faire passer notre message : « A revolução, companheiras, é feminista »¹.

En même temps, on ressent de la colère et une peine profonde pour Marielle, une militante féministe brésilienne qui a été assassinée la veille à Rio de Janeiro. On répète sans cesse #MariellePresente parce que la lutte continue malgré tout. Les larmes me viennent aux yeux quand j’entends ces femmes parler avec autant de conviction : « Rebele-se contra toda opreção »².

Je sens une vague d’émotions contradictoires qui me bouscule. D’une part je suis absorbé par les discours des femmes ; leurs paroles me comblent, me remplissent d’énergie et me font sentir qu’on est unies, qu’on marche toutes ensemble. D’autre part des épisodes traumatisants me reviennent à l’esprit, comme une claque au visage qui me rappelle brusquement que la lutte n’est pas finie.

Tout se passe vite dans ma tête et il y a beaucoup de mouvements au milieu de la foule. Des autocollants de la campagne du gouvernement de l’État de Bahia « Respeita as mina » sont distribués. Que ce soit #moiaussi ou le machisme en Amérique latine, les injustices que subissent les femmes sont la conséquence directe du système patriarcal blanc, et cette réalité fait l’objet de plusieurs discours : « Precisamos acabar com o machismo »³.

Au cœur de la foule, qui se trouve entourée de policiers, je ressens aussi un certain malaise. Il s’agit du même inconfort qui m’habite depuis quelques jours pendant ma participation au Forum. Je me sens hyper privilégiée d’avoir la liberté de crier, jusqu’à en érafler mes cordes vocales, que je suis une féministe qui lutte et qui résiste, sans que rien ne m'arrive, alors que Marielle n’a pas eu droit à ce privilège.

J'essaie de composer avec cette dualité qui m'envahit : un sentiment d'impuissance et de remise en cause de ma légitimité en tant que militante (Italo-Canadienne blanche!), trop souvent dissimulée derrière mon engagement citoyen ancré dans des valeurs pourtant profondes de solidarité et de justice. En jasant avec d'autres, je réalise que je joue un rôle d'alliée. Je suis l'alliée de Marielle et de bien d'autres et j'ai comme rôle de parler haut et fort des injustices qui se produisent, ici comme ailleurs, afin d'éveiller les consciences des gens de mon entourage, de ma communauté et de mes élus dans le but de mener à un réel changement de paradigme.

Et je prends conscience que c'est ici que commence le vrai Forum.

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