Je suis myope

Un texte de Karel Marcoux, stagiaire du Programme de stages internationaux pour les jeunes (PSIJ)

J’habite au Sénégal depuis environ 5 mois. Ce matin, j’ai mangé du pain comme chaque matin. J’y ajoute la sauce et nous avons un déjeuner sénégalais typique. J’entends déjà des gens dire : « C’est qui qui met de la sauce dans du pain ?! » Ouin, je l’avoue… mettre de la sauce dans du pain ça peut paraître bizarre au Québec, mais le mot « sauce » a plus ou moins la même signification au Sénégal. Je ne saurais pas comment le définir, mais disons que ce n’est pas le genre de sauce que tu mettrais dans une poutine. Le pain est bon (écoute, c’est du pain baguette fraîchement préparé) et les sauces le sont aussi généralement. Si tu es bon en math, tu comprends bien que j’aime les déjeuners sénégalais. Cependant, je dois faire attention, car on achète généralement ces sauces dans la rue. Avant, je mangeais n’importe quoi et j’ai dû aller voir un médecin. J’ai donc été faire un tour à l’hôpital. C’était toute une expérience: c’est la première fois de ma vie que je rencontrais un médecin en moins de 15 minutes. Ça fait changement des 8 heures d’attentes du Québec.

Cette petite tranche de vie m’amène au point que j’aimerais aborder dans ce texte. Tu vois, je compare le temps d’attente aux urgences du Québec avec celui du Sénégal. Lorsque nous sommes à l’étranger, nous sommes portés à tout comparer avec ce que l’on connaît. C’est mon premier vrai voyage. Je suis déjà allé à Cuba, mais c’était dans un tout inclus, donc ça ne compte pas vraiment. Je n’avais jamais réellement vécu de rencontres interculturelles. Je n’avais jamais réellement vécu comme les gens locaux. Je n’avais jamais réellement mangé d’une façon qui, pour les Occidentaux, est assez spéciale au premier abord. Ça fait beaucoup de nouvelles expériences et j’en fais toujours plus. Or toutes ces expériences, je les vis en étant Québécois, donc je juge, je vois et je comprends avec mes racines.

C’est drôle. Avant d’écrire ce texte, je venais tout juste de lire une lettre que mon frère et sa copine m’avaient écrite avant que je parte pour le Sénégal. Ils m’ont écrit 6 lettres, une pour chaque mois passé ici. Je dois vous dire que j’adore lire ce qu’ils m’ont rédigé. C’est léger, drôle et rafraîchissant. Dans la dernière que j’ai lue, ils avaient inclus une citation qui m’a fait réfléchir. La voici :

« Les voyageurs n’ont ordinairement pour observer que les lunettes qu’ils ont apportées de leur pays et négligent entièrement le soin d’en faire retailler les verres dans les pays où ils vont. »

– Jean Potocki

Il y a 4 mois, j’aurais mal compris cette citation. J’aurais probablement dit que je ne faisais pas cela, que j’analysais les choses avant de juger et que je ne comparais pas ce que je vivais ici avec les réalités du Québec. (On ne se rend pas toujours compte des actions que l’on fait.) Aujourd’hui, je comprends cette citation et je peux vous affirmer que j’ai bien fait ce que Jean Potocki déplore et qu’il m’arrive encore de le faire. On nous avait prévenus que cela allait arriver. On nous avait également prévenus d’éviter de le faire, car cela pourrait nuire à notre expérience et à notre adaptation. Mais ça reste plus fort que nous, du moins… que moi. Je ne regardais pas avec des verres sénégalais, mais des verres québécois. C’est comme si j’étais myope à -9, mais que je portais des lunettes avec une force de -2. Je ne verrais pas grand-chose.

Mon superviseur de stage, Monsieur Sow, me l’a fait remarquer à plusieurs reprises au début. Travailler dans le domaine des communications est totalement différent ici. Les valeurs ne sont pas les mêmes. Les moyens et les outils utilisés se différencient également. Écoutez, ça m’a pris un certain temps avant de comprendre cette réalité et de m’y habituer.

Aujourd’hui, mes lunettes sont peut-être rendues à -7. Il y a des choses que je ne comprends toujours pas, mais je saisis beaucoup mieux les différences entre ma culture et celle d’ici. Je comprends certains comportements avec lesquels je ne suis pas d’accord. J’apprécie également certains comportements que j’aimerais voir s’instaurer dans une culture nord-américaine comme la nôtre.

Parfois, j’échappe mes lunettes. Mes verres se brisent et je ne vois plus grand-chose. En effet, quand tu as le moral à zéro et que la seule chose que tu aimerais faire c’est de rentrer, c’est assez difficile de rationaliser et de comprendre les choses que tu n’aimes pas d’une culture. Cependant, le temps fait bien les choses. Tu trouves une lunetterie et fais réparer tes verres. Tu rationalises et tu sais discerner les beautés d’une culture autre que la tienne. Bref, tu sais apprécier les différences.

Cela fera bientôt 5 mois que je suis dans le pays de la Teranga. Un pays où les gens te donnent tout, même s’ils n’ont rien. Un pays qui m’aura marqué et qui me manquera. Il me reste environ 1 mois avant la fin de cette expérience. Ce n’est pas encore terminé, mais je peux vous dire que ça aura été une vraie montagne russe pour moi. J’ai hâte de retrouver ma famille, mes amis et certaines habitudes qui me manquent, mais de l’autre côté, j’ai énormément appris à vivre à la sénégalaise. J’ai fait des rencontres marquantes, vécues des expériences que je n’aurais jamais pu vivre autrement et j’ai tissé de nouveaux liens. Des liens qui, je l’espère, persisteront.

 

Pour en savoir plus sur le Programme de stages internationaux pour les jeunes, financé par Affaires mondiales Canada, consultez le lien suivant.


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