28 ans de lutte pour un modèle agricole durable

Par Rachel Vincent, directrice terrain au Nicaragua

En pleine révolution nicaraguayenne, en 1984, un jeune missionnaire laïc espagnol, vient s'installer dans la municipalité de Tola, situé dans le département de Rivas, région du Pacifique Sud du Nicaragua. Ce dernier avait vécu quelques années dans des communautés rurales en Colombie où il avait été initié à la vie agricole. Dans la foulée de la révolution et de la réforme agraire des années 80, il trouve un terreau fertile au Nicaragua pour le développement d'une agriculture paysanne basée sur des principes de respect de l'environnement et de souveraineté alimentaire. C'est dans ce contexte qu'il fonde l'Association Tierra y Vida qui a pour mission d'appuyer les communautés rurales dans l'adoption d'une agriculture de transition, une agriculture régénérative axée davantage sur la conservation des sols plutôt que sur le contrôle des cultures.

Le 31 octobre dernier, l'Association Tierra y Vida, partenaire privilégié de Mer et Monde, célébrait son 28e anniversaire en l'honneur de celui qu'on surnomme affectueusement Panchito (Francisco Irañeta), son fondateur, décédé tragiquement dans un accident d'avion au Honduras. Les idées de Panchito sont toujours d'actualité aujourd'hui et Tierra y Vida continue de travailler avec un groupe de producteurs et de productrices qui cherche à implanter un modèle de production durable et bénéfique pour la sécurité alimentaire de leur famille.

Pour souligner son anniversaire de fondation, l'Association invita plus organisations partenaires ainsi que des producteurs et des productrices à témoigner de leur expérience, de leurs apprentissages et à discuter des défis auxquels fait face l'agriculture paysanne écologique au Nicaragua. Les invités présentèrent différentes initiatives telles que des banques de semences, des projets de stockage de grains communautaires, et même une banque alternative.

Dans un contexte de changements climatiques, les thèmes des semences et de l'organisation communautaire sont incontournables. Les paysans et les paysannes cherchent à se détacher des grandes transnationales qui bien souvent vendent des semences modifiées qui sont dépendantes de l'utilisation de pesticides chimiques, qui menacent la reproduction des semences locales et pour lesquelles elles détiennent un brevet, ce qui ne permet pas aux producteurs et aux productrices de conserver les graines et de les reproduire eux-mêmes. Cela crée alors une forte relation de dépendance entre les familles agricultrices et l'entreprise qui leur fournit les graines. Les semences locales, quant à elles, sont adaptées aux conditions climatiques locales, elles sont résistantes aux maladies et ravageurs de leur région en plus d'être partie intégrante de la culture et de la gastronomie nicaraguayennes. Le pouvoir des lobbys est puissant et des entreprises comme Bayer et Monsanto effectuent des pressions depuis plusieurs années sur le gouvernement nicaraguayen pour qu'il permette l'introduction du maïs ou du soya transgéniques. Ce n'est qu'uni(e)s et organisé(e)s que les paysans et paysannes pourront réellement s'opposer à ces entreprises transnationales.

Au terme de cette journée de rencontres et d'échanges, les personnes collaborant avec Tierra y Vida identifièrent trois grands défis à relever :

  1. L'innovation à travers les échanges d'expérience, la formation et un meilleur accès à l'information.
  2. La participation de la famille dans la production de la ferme à travers une meilleure intégration des jeunes et des femmes dans les décisions.
  3. Le rapprochement entre les institutions académiques et le milieu rural afin de produire des données scientifiques basées sur l'expérience paysanne et sur les besoins du milieu.

Malgré plusieurs avancées en agroécologie, il faut se rendre à l'évidence que le modèle imaginé par Panchito n'est toujours pas le modèle de production majoritaire. Toutefois, au Nicaragua, 60% des terres appartiennent à de petits producteurs, ce qui a favorisé l'adoption de pratiques agricoles respectueuses de l'environnement et de lois telles que la Loi sur la Promotion de la Production Agroécologique et Biologique ainsi que la Loi sur la Conservation et l'Utilisation de la Biodiversité, qui jusqu'à maintenant, ont garanti une certaine protection à l'agriculture paysanne. Les défis restent toutefois nombreux et Mer et Monde est fière de collaborer avec des associations comme Tierra y Vida qui travaillent à défendre l'intérêt des communautés locales et un modèle de subsistance durable et égalitaire.


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