Mon séjour au Honduras

Du 5 novembre 2001au 5 février 2002
Christophe Penouilh
Quatre jeunes de la rue avec qui j'ai travaillé

 


INTRODUCTION
L'objectif de ce rapport est de rendre compte des raisons qui m'ont poussé à inscrire mon action au sein d'un organisme de coopération et mon vécu tout au long du séjour.


POURQUOI PARTIR AVEC UN ORGANISME DE COOPERATION
Lorsque j'ai décidé de partir au Honduras je me trouvais au Québec depuis un an et demi. Mon travail ne me plaisait pas particulièrement, je me posais des questions concernant mes choix de vie, mes valeurs et surtout comment je peux conjuguer travail et épanouissement personnel. François Baril prêtre de l'église Saint François d'Assise à Montréal m'a beaucoup appuyé dans cette démarche et je l'en remercie. Après plusieurs discussions avec Michel de Mer et Monde je suis parti le 05 novembre 2001 a Tegucigalpa.

Bienvenue à Pueblo Nuevo
MON ARRIVEE ET MON INTEGRATION AU HONDURAS
Pour moi partir au Honduras correspondait à un dépaysement. Pour la première fois j'allais vivre une expérience différente culturellement. J'étais très impatient et mon départ c'est très bien effectué. Je garde comme souvenir à mon arrivée le sourire de Ricardo et de Martin. Quand on arrive cela est vraiment réconfortant.

Dès mon arrivée j'ai été pris en charge par Mer et Monde. Ricardo m'accompagnait pour prendre le bus, aller au centre ville. Lors de ma première visite au centre ville, j'ai été surpris par la pollution, le nombre de personnes mendiant dans la rue et le bruit des voitures. Il faut ajouter que tout n'est pas aussi triste, je dois parler également du fourmillement ou du grouillement qu'il y a dans la rue. A Tegucigalpa les relations, les échanges s'effectuent dans la rue. Quand on sort on peut vraiment sentir la vie.

Au début j'étais souvent fatigué, par le soleil, le bruit. Les transports ne sont pas commodes non plus, mais a l'image de la calle très vivant. Mon intégration a duré 3 semaines. Trois semaines entrecoupées de discussions avec Ricardo sur le sens que l'on donne chacun a sa vie.

Je me souviens également des visites nombreuses : Les garderies, la maison des Handicapés, Pueblo Nuevo. De ces rencontres je garde en tout premier lieu le souvenir du sourire des enfants, ainsi que leur spontanéité. Ils vous sautent au cou, vous serrent fort, vous invitent à jouer. Dans un monde où les relations sont de plus en plus insipides, incolores et inodores cela est vraiment réconfortant.
Je garde aussi comme souvenir l'accueil des campésinos de pueblo nuevo. Leur générosité est aussi évidente que la spontaneité des enfants. Les gens partagent le peu qu'ils ont. Mais cette belle description doit être nuancée par le machisme qui règne au Honduras. L'homme est encore un seigneur qui prélève la dîme, conserve le droit de cuissage et la femme constitue son objet de désir. L'homme boit, fume, joue au billard, travaille quand il le désire. La femme reste à la maison, fait le ménage, la cuisine, éduque les enfants et travaille. Injuste partage des rôles.

VISITE À PUEBLO NUEVO
Pueblo nuevo constitue pour moi une des expériences les plus enrichissantes. Voir ces enfants s'amuser avec rien. Cette vie de village calme et chaleureuse me remplissait de joie. Je n'y suis pas allé longtemps mais j'ai pu toucher du doigt la vie dans un campo avec sa dureté mais également sa beauté. Le plus dur pour moi était sans doute les conditions de vie ainsi que le manque d'intimité.

Je me demandais : Serais-je capable de vivre ici comme
eux ? A cette question je ne peux répondre. La vie est différente. Pas de bruit, pas de voitures, pas de pollution et une ou deux télévisions. Les moyens pour se laver, manger sont rudimentaires. L'activité principale des hommes est le billard, et le taux d'éducation très faible. Mais à côté de cela j'aimais jouer au foot, entendre crier les enfants lorsqu'ils jouaient et les regarder sourire.

L'échange fut bref mais intense.

Pueblo Nuevo - Une expérience marquante
LA VIE A TEGUCIGALPA
Les charmes de Tegucigalpa sont plus discrets. Se promener dans la rue ne constitue en rien pour moi une promenade, c'est une corvée. Les rues sont sales, les gens beaucoup plus méfiants et craintifs. Le taux de jeunes vivant dans la rue est très élevé. On entend souvent le mot Résistol (colle que consomment les jeunes pour oublier). Alors que dire si ce n'est que pour les Honduriens, je suis un Gringo qui doit être très riche et posséder beaucoup de dollars. Pour les hommes et notamment les femmes un Gringo c'est un bon parti ou c'est bon pour partir du pays. La prostitution est forte et il n'est pas rare de voir des jeunes filles le soir rechercher comme on dit au Québec un homme compréhensif et surtout généreux. Un ami me disait si tu invites une fille à manger à boire et que tu paies la soirée, tu peux exiger plus. Est-ce vrai ou pas ?
DEBUT DU TRAVAIL A AGAPE AVEC LES JEUNES DE LA RUE
Après trois semaines Ricardo et Martin m'ont demandé où je comptais travailler. Mon désir premier était de travailler avec les jeunes mais dans la nature. J'avais pensé à un endroit mais malheureusement cela n'a pu se réaliser. Alors Martin m'a fait part du fait qu'il pensait que je pouvais tavailler a AGAPE car le centre manquait de personnel. J'ai donc décidé d'aller y travailler. Le début ne fut pas facile. Mes premières impressions n'étaient pas très bonnes. Un centre laissé presque a l'abandon, des jeunes qui fument, se droguent dans le centre en écoutant la musique comme dans une discothèque.

Comment entrer en communication avec ces jeunes ? Comment arriver à être autre chose qu'un Gringo ? Comment leur ouvrir l'esprit en leur donnant de l'espoir dans l'avenir ?

Ma première nuit au centre fut pour le moins que l'on puisse dire dépaysante. Le jour ils dormaient et la nuit ils vivaient. Je n'ai pu trouver le sommeil que vers 4 heures du matin. En vivant au centre je me suis rapidement rendu compte qu'il n'y avait pas de structure. Pas de directeur officiel, pas d'éducateurs. Le personnel était constitué d'une cuisinière du nom de Gisèle, d'une aide-cusinière du nom de Sandra et d'un pourvoyeur de fonds du nom de Gorge Maomar. Giselle est admirable par son courage, son abnégation. Sandra venait de la rue et entretenait avec les jeunes des relations ambigues. Gorge était inscrit au registre des abonnés absents. Après plusieurs discussions avec Gisèle, les jeunes, je me suis rendu compte que l'urgence n'était pas d'organiser des activités mais plutôt de structurer le centre avec des règles, des horaires et des activités pour occuper les nombreux temps morts. Mais comment ?

Où aller chercher l'argent? Comment arriver à dialoguer et à se faire comprendre en Espagnol?

Dès la première semaine un éducateur du nom de Mario a été envoyé au centre par Gorge. Avec Mario nous avons établi un plan de travail. Je m'occupais des activités et il travaillait en collaboration avec moi à l'instauration de règles de vie. Pendant une semaine nous avons discuté avec les jeunes, contrôlé les entrées et sorties, la consommation de drogue. Mais après 7 jours Mario est parti du centre fatigué et découragé. J'ai été surpris de son départ car il ne m'en a pas informé. Après plusieurs discussions Mario revient, nous rencontrons Rosario avec Martin pour signaler l'urgence de la situation. Il faut un budget, des éducateurs à AGAPE sinon le centre va devenir un refuge pour drogués.

Comment travailler dans un centre où la direction est absente, où il n'y a pas d'argent.

Sortir les jeunes de Agape devient mon premier objectif. Il faut qu'ils travaillent, donnent du sens à leur vie. Agape ne constitue pas une aide mais plutôt un microcosme où le processus d'influence est fort. Ne voyant pas de volonté réelle de la part des organisations d'investir Agape, je décide de prendre un groupe de 4-5 jeunes pour aller travailler tous les jours avec moi dans la construction. Pendant un mois nous avons participé à construire des maisons a Santa Rosa. Belle expérience que Santa Rosa. Cette expérience m'a permis de nouer d'autres contacts avec ces jeunes. Pour une fois je ne suis plus le concierge ou le flic mais quelqu'un qui comme eux travaille et dans les mêmes conditions.

J'ai été surpris de la motivation avec laquelle ils travaillaient. Je me suis rendu compte que pour eux c'était très important. Ils gagnaient de l'argent, pouvaient donner de l'argent à leur famille et rentrer le soir en étant fier du travail accompli. A la fin du travail nous sommes partis les 5 a un Village du nom de Catacama pour retrouver le père de deux jeunes.
Ils n'avaient pas vu leur père depuis plus de trois ans. L'un deux, Sosa, âgé de 16 ans était papa et voulait annoncer la nouvelle à son père. Malheureusement cela n'a pas pu avoir lieu et nous nous sommes baignés dans une rivière après avoir partagé un repas. Ce moment était simple mais beau.

Après un mois et demi de travail avec les jeunes je suis heureux d'avoir essayé du mieux que je pouvais de nouer un contact avec eux. Je n'ai pas réussi avec la majorité mais ce n'est pas grave. Je peux dire qu'il y eut de l'échange dans tous les sens du terme. J'aimerais plus tard savoir ce qu'ils pensent de mon travail, comment ils ont compris mon intervention, et quels sont pour eux les points positifs et négatifs qu'ils retiennent. J'ai eu tout au long du travail de nombreuses fluctuations de moral ainsi que de remises en question. Une chose est sûre, j'y ai mis du cœur.

Une semaine après mon travail je suis reparti plusieurs fois a Agape pour voir les jeunes, je me suis rendu compte de la dégradation tant mentale que physique. Les jeunes vagabondent en ne sachant pas comment occuper leur temps libre. Le résistol devient donc leur premier allier. Les yeux globuleux, le regard triste ils me demandaient quand ils allaient travailler. Je ne pouvais pas leur donner de réponses et c'est peut être cela le plus dur.

Se sentir impuissant.

LA VIE A MER ET MONDE
Le début a Mer et Monde n'était pas évident. Tout le monde se couchait tôt et menait une vie beaucoup plus réglée et ordonnée que moi. Ricardo et Martin se levaient tôt et se couchaient tôt. Moi le soir j'avais envie de discuter et non pas de dormir. Le matin j'avais envie de dormir. Cela est rapidement rentré dans l'ordre.

J'avais peur avant de venir, de la vie en communauté et je me disais que mon caractère un peu indépendant ferait qu'il y aurait des tensions. J'ai pu en ressentir, mais j'ai pu également les exprimer à Martin, Ricardo et parfois aux autres compagnons de route. J'ai aimé la vie a Mer et Monde, les moments de discussion sur les choix de vie de chacun, les soupers en groupe et les rigolades. J'ai appris beaucoup de Martin (surnom : ma poule) et de Ricardo. Ce sont des gens qui disposent de qualités que je n'ai pas : la patience et la délicatesse. Apprendre à faire attention à l'autre, à rester disponible pour l'autre n'est pas chose évidente au quotidien.

Ricardo - Martin -Sally et ...

Le groupe m'est apparu comme étant une aide et une contrainte. Quand on a pas le moral c'est bon de discuter, d'échanger. Mais les modes de vie, les expériences et les âges étant différents parfois on supporte les exigences de chacun. Il est amusant de voir comment les petits détails peuvent parfois devenir énervants. Cela est normal puisque l'on vit en groupe. Tout au long du séjour j'ai pris le temps également de réfléchir à mes objectifs de vie. J'avoue que j'ai de nouvelles questions mais pas de réponses nettes qui me permettent de prendre une décision. Mon retour au Québec sera je pense très important pour confirmer ou infirmer des sensations.

J'ai pu également évaluer et confronter mes limites concernant l'investissement humanitaire. J'ai lu un livre "soleil de justice" qui parle de l'engagement de deux personnes dans le domaine humanitaire. Il s'agit selon eux d'un sacrifice total, essayer de s'oublier pour penser aux autres. L'impression que j'ai c'est qu'à l'heure actuelle je suis trop centré sur mon projet professionnel, sur un équilibre de vie pour pouvoir m'ouvrir réellement à l'autre.

FIN DU STAGE
Mon travail a pris réellement fin autour du 10 janvier 2002. J'ai décidé pour clôturer la fin de mon travail d`offrir aux jeunes un séjour a CATACAMA. Ce geste avait pour but de leur montrer que j'étais content du travail qu'ils avaient accompli. Un travail faiblement rémunéré et dur physiquement. Leur assiduité et leur joie de vivre lorsque l'on rentrait avec le busito étaient très agréables. Je ne sais pas s'ils ont compris ce geste de cette manière mais cela n'est pas très important. Une des choses les plus dures est parfois l'écart de culture, d'éducation qui fait que si on emploie les mêmes mots ils ne sont pas interprétés de la même manière. Comment être sûr de se faire comprendre ou de les comprendre ? Je ne peux savoir car je ne les connais pas vraiment et eux non plus ne me connaissent pas. Entrer en communication réelle avec ces jeunes est un pari car ils sont désabusés et ne croient pas vraiment dans les organisations qui bien souvent les lâchent.
Alors à qui la faute ?

ET APRÈS
Je suis très impatient de rentrer au Québec car je dois clarifier beaucoup de choses. Vais-je vivre au Québec, en France ? Travailler comme instituteur, suivre l'école hôtelière, dans les ressources humaines ou autres ? Difficile pour moi de répondre.

REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier Mer et Monde et plus particulièrement Martin et Ricardo. L'investissement des permanents est réel, et leur disponibilité importante. Ils croient en ce qu'ils font et cela pour moi est vraiment important. Je ne sais pas si on se reverra mais en tout cas je garde un bon souvenir de mon passage parmi Mer et Monde.