Le leadership des femmes

Les femmes de Baback-Sérères se sont regroupées pour améliorer les conditions des femmes dans leur communauté en allégeant leur fardeau quotidien, créant des revenus et en contribuant au ralentissement de l’exode rural. Le groupement de femmes de Baback-Sérères et Mer et Monde collaborent à un projet triennal financé par Québec sans frontières (QSF),  I Mbokator Njalik: Pour un avenir meilleur, qui vise l'amélioration des conditions de vie des familles de la communauté par l’approvisionnement en produits agroalimentaires tout au long de l’année, par une plus grande autonomie financière et par une saine alimentation. Une participante du groupe a réalisé le portrait de deux femmes impliquées dans le projet, Aby Diallo et Biguey Sene.

Entrevues réalisées par Maty Sokhna Ndiaye, participante du groupe 2018

 

Aby Diallo

Aby est une femme qui, entre le périmètre maraîcher et les travaux à domicile, vend des glaces artisanales. Au foyer, elle s’occupe de son ménage. Ses deux enfants sont prioritaires dans son quotidien. Elle gère seule son domicile puisque son mari travaille en ville, à Dakar. Aby est membre de l’Association villageoise d’épargnes et de crédits (AVEC). Elle fait partie de celles qui contrôlent les flux d’argent, la gestion de l’argent et les amendes.

Quelle implication as-tu dans ton groupe ?

Je sens que je suis une femme qui n’est pas parmi celles qui dirigent ni parmi celles qui traînent à la queue. Je me sens bien dans le groupement. J’ai un sentiment d’appartenance qui me rend confortable à participer activement aux discussions et aux réflexions du groupe. J’ai une volonté personnelle qui accentue mon implication face aux femmes. Lorsqu’une femme ne se présente pas, je m’arrange pour que cette dernière puisse être au courant de l’information qu’elle aurait manquée. Je m’assure aussi qu’une harmonie règne entre les femmes. Lorsqu’une d’entre elles manque de motivation, je m’assure d’en connaître la cause afin d’essayer de résoudre son souci pour le bien commun. Enfin, j’ai une participation active dans l’organisation. Par exemple, lorsque je me suis déplacée à Thiès avec d’autres femmes et stagiaires pour faire l’achat de matériaux pour le périmètre maraîcher. Également, lorsqu’il est temps de s’exprimer, je prends régulièrement l’initiative de prendre la parole au nom des femmes.

Quelle est ta motivation personnelle vis-à-vis du projet ?

Mon désir le plus profond est que le projet dépasse la surface d’un hectare. J’aimerais également que le périmètre se fasse reconnaître par plusieurs régions en étant la référence en termes de jardin communautaire. Je voudrais que toutes les femmes qui étaient craintives à l’idée de participer au projet s’embarquent avec nous et en fassent autant pour les prochaines saisons. 

Quelle relation entretiens-tu avec des stagiaires ?

J’ai une relation saine et sincère avec les stagiaires. Ils sont non seulement respectueux-ses, mais aussi chaleureux-ses en plus d’avoir une grande ouverture envers les réalités du milieu. Nous n’éprouvons aucun souci avec les stagiaires. La seule chose qui nous préoccupe, mes consœurs et moi, est leur départ du village. Ce départ sera une grande perte à laquelle nous sommes toutes en train de songer.

Pourrais-tu me partager les apprentissages que tu as pu faire grâce à cette expérience ?

J’ai eu la chance d’acquérir des connaissances sur le volet agronomique telle que la pratique du repiquage. J’ai eu la chance et le courage cette année de repiquer des plants tout en étant confiante de la technique que j’employais, ce que je ne faisais pas les années précédentes. J’ai aussi appris comment préparer les parcelles, soit les mesures à prendre et les amendements organiques à apporter. Je me suis aussi familiarisé avec des notions de décomposition du fumier et de compostage. Ces connaissances touchent le volet agronomique, mais il est aussi intéressant de savoir que j’ai beaucoup appris sur le volet nutritionnel grâce aux étudiant(e)s en nutrition et en science de la consommation.

Parle-moi de tes enjeux, défis, réussites et espoirs face à cette réalisation.

Apprendre que j’attendais un enfant a été difficile. À savoir que cette grossesse s’accompagne de problèmes de tension artérielle et de restrictions fait en sorte que mon implication régresse. Arroser avec les femmes chaque matin en ayant l’interdiction du médecin de tenir un arrosoir rend mon engagement au périmètre compliqué. Avant cette nouvelle, je  me sentais faire partie des leaders du groupement. J’étais le genre à tirer les femmes manquant de volonté. J’avais une force mentale et physique qui me permettait d’épauler les autres ayant des soucis du même genre. C’est ma seule difficulté personnelle. De voir que les autres femmes travaillent et que je ne peux y participer me gêne, car chaque personne est différente et chaque femme possède un niveau de compréhension et d’empathie différent. Certaines comprennent la situation de santé qui m’est imposée et d’autres moins. J’espère grandement revenir en force pour prendre le même rythme que j’avais auparavant.

 

Biguey Sene

Biguey est une femme, qui travaille à domicile en s’occupant de ses cinq enfants. Outre le travail au périmètre maraîcher et son ménage, elle élève des poulets de chair. Elle peut posséder entre 20 et 30 têtes. À part le temps consacré à l’agriculture et à sa famille, elle est également membre de l’Association villageoise d’épargne et de crédits (AVEC) où elle contrôle les amendes et les retards.

Quelle implication as-tu dans ton groupe ?

Dans le groupement, je suis respectée par toutes les femmes puisque je suis la plus âgée. Souvent, j’ai le rôle de motiver les autres femmes et de les diriger. Je prends aussi la responsabilité de les raisonner lorsqu’il y a des tensions ou des mécontentements entre nous. Mon âge de même que mon écoute attentive font en sorte que les femmes me donnent ce rôle. Je suis heureuse de faire partie de ce groupe. En plus de la complicité que j’ai avec elles, il est primordial pour moi que la dynamique de groupe aille de l’avant.  Si la chimie du groupe ne fonctionne pas, c’est la pérennité du projet qui est en jeu. Si une femme est absente, je m’assure de lui donner un compte-rendu de la rencontre. Avant de partir au forage, je prends le temps d’aller récupérer les autres femmes avec lesquelles je cohabite pour que nous y allions ensemble. Lorsque je prends cette initiative, plus de femmes se présentent au périmètre, car cela les encourage à venir. Je trouve que l’effet de groupe augmente la détermination des femmes à travailler. En effet, une femme se sent plus coupable de rester à la maison lorsque ses consœurs l’attendent devant la maison pour partir au travail. Le message passe mieux, ça c’est sûr!En allant les chercher, je prends le soin de leur rappeler ce qu’elles doivent amener au jardin.

Quelle est ta motivation personnelle vis-à-vis du projet ?

J’aimerais que notre travail ait un meilleur avancement, que l’on puisse avoir un travail excellent avec un groupe de femmes encore plus grand et que chaque année, le périmètre prenne de l’expansion au niveau de son effectif et de sa superficie. Je voudrais aussi que les revenus servent à nos accomplissements personnels et à notre enrichissement communautaire. J’aspire, un jour, à ce que nous puissions faire de l’élevage de poulets de chair sur ce périmètre et ainsi, bonifier nos revenus.

Quelle relation entretiens-tu auprès des stagiaires ?

Ce que j’ai appris des stagiaires me fait plaisir. Les stagiaires viennent se jumeler avec nous d’une belle manière. Ils partagent nos rires et nos peines. En plus, leur personnalité est vraiment appréciée par toute la communauté de Baback. Ils prennent le temps nécessaire avec nous en créant des rencontres hebdomadaires et des formations. Lorsqu’il y a quelque chose, un souci, ils prennent le temps de s’asseoir avec nous pour réfléchir à une solution. Ils nous permettent de partager nos idées. Pour ce qui est du travail, ils ont une énergie positive et contagieuse. À un point que même si j’avais passé une mauvaise journée, je sais qu’en les voyant, je vais passer une bonne après-midi au jardin. Ils sont toujours de bonne humeur. Cette belle relation nous permet d’avoir de meilleurs résultats et un meilleur avancement.

Pourrais-tu me partager les apprentissages que tu as pu avoir grâce à cette expérience?

J’ai beaucoup appris sur le périmètre, les étudiant(e)s en agronomie ont pris le soin de me montrer comment mesurer les parcelles et comment incorporer le fumier. Les étudiantes en nutrition nous ont fait comprendre l’importance de la santé en cuisine. La qualité des aliments que nous produisons biologiquement peut se dégrader avec les bouillons que nous utilisons dans nos recettes. Le leadership est important dans n’importe quelle structure, qu’il s’agisse de maraîchage ou même dans nos foyers.

Parle-moi de tes enjeux, défis, réussites et espoirs face à cette réalisation.

Un des enjeux qui me préoccupe beaucoup est l’accès à l’eau. Il n’y a point d’agriculture sans eau. Le fait de puiser l’eau avec de l’énergie fossile coûte extrêmement cher. Il y a aussi à cette période, avant l’hivernage, un manque de fumier qui complique la production biologique. Il faut savoir que le fumier est un intrant essentiel. J’espère que ce projet sera durable et que nous innoverons vers une technologie plus propre et moins chère, comme l’énergie solaire.

J’apprécie vraiment le fait que les stagiaires prennent la peine de partager notre histoire même s’ils n’ont pas les mêmes réalités. Nous leur montrons une autre facette du monde. Mer et Monde prend conscience qu’il y a des avantages à vivre sur les deux moitiés du monde, soit le nord et le sud. J’espère que la complicité développée avec les stagiaires de ce groupe sera la même avec les autres à venir. C’est une grande chance cette année d’avoir une stagiaire qui parlait la langue locale. Elle a su faciliter les échanges. Grâce à cela, nous avons constaté que les liens se sont tissés beaucoup plus rapidement. Je souhaite qu’avec la réussite de ce projet, cette organisation puisse appuyer d’autres villages comme le nôtre.


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