Discuter de sexualité avec les jeunes

Un texte de Florence Lecours-Cyr, participante au projet QSF Viviendo mi sexualidad saludable, Nicaragua

Plus de la moitié du projet est déjà terminée. Voici donc un résumé de ce que nos vies ont été dans les dernières semaines, depuis notre arrivée jusqu'à aujourd'hui. Tout d'abord, avant même de partir, notre projet s'annonçait déjà hors de l'ordinaire puisqu'étant censés partir pour le Nicaragua, nous voyions la situation politique se détériorer de jour en jour. Dans les conditions actuelles, il aurait été impossible de réaliser le stage dans ce pays.

Cela faisait plusieurs mois que nous nous imaginions au Nicaragua, que nous apprenions sur ce pays, son histoire et son peuple, et ce fut donc une montagne russe d'émotions que d'assister aux affrontements violents entre la population et le gouvernement, et de finalement devoir abandonner l'idée de nous y rendre, à quelques semaines du départ.

Toutefois, le projet a pu être relocalisé dans la communauté de Longo Maï, dans le sud du Costa Rica. Notre nouveau partenaire terrain, la Comisión de los rios, est un organisme fondé à la base pour lutter pour la protection des deux rivières qui bordent le village contre un projet de barrage hydroélectrique. Pas grand chose à voir avec notre projet sur l'éducation à la sexualité me direz-vous, mais après avoir gagné sa "lutte pour l'eau", l'organisme s'est donné pour mission d'appuyer de nombreux projets et initiatives communautaires de Longo Maï et des environs.

Nous étions donc prêt(e)s pour partir le 1er juin. Après deux jours de formation express sur la vie costaricaine, nous sommes finalement arrivés au village, fébriles à l'idée de rencontrer nos familles adoptives et d'enfin nous lancer dans l'aventure. Dans les premiers jours, l'excitation, l'appréhension, la fatigue, la confusion, tout cela s'est mélangé pour former ce qu'on appelle "le choc culturel". Arriver dans une famille inconnue, dans un pays loin du nôtre, dans une langue que nous maîtrisions à différents niveaux et sans notre précieuse connexion Wi-Fi (sic) pour aller tout raconter à notre famille et nos amis, cela demande une grande capacité d'adaptation.

Connaître la communauté

Mais la vie continuait, et petit à petit, l'adaptation culturelle suivait son cours. Sans être complètement à l'aise dans notre nouvel environnement, nous avons pu relever nos manches et nous atteler au projet. Celui-ci se détaille en trois phases. Premièrement, la phase de diagnostic. Celle-ci consiste à dresser un portrait des connaissances et habitudes de la population de Longo Maï ainsi que de quatre autres communautés des alentours (Tarise, Cristo Rey, Tres Rios et Convento) en matière de santé sexuelle et reproductive et d'égalité femme-homme.

Pour y arriver, nous avons construit un questionnaire que nous avons fait remplir à la population en utilisant la bonne vieille méthode du porte à porte. La pluie torrentielle, le soleil cuisant, notre espagnol plus ou moins approximatif, rien n'a pu décourager notre enthousiasme et nous sommes allé(e)s à la rencontre des gens.

En tout, nous avons fait remplir plus d'une centaine de questionnaires à autant de personnes, dont l'âge variait entre 12 et 79 ans. De plus, pour ouvrir le dialogue avec les gens d'ici, nous avons organisé deux groupes focus sur les thèmes du projet. Notre objectif: découvrir ce que les gens connaissaient, et plus important encore, ce qu'ils aimeraient connaître sur le sujet. Sans fausse modestie, il est possible d'affirmer que ces deux activités ont connu un succès avec les personnes participantes. De plus, elles nous ont permis de commencer à tisser un lien de confiance avec la communauté, ce qui est essentiel pour la suite des choses. Après avoir analysé les données obtenues dans la phase de diagnostic, nous avons présenté le résultat à notre partenaire terrain et aux personnes clés de la communauté, afin de les tenir au courant et d'obtenir leur avis sur l'avancement du projet. La phase de diagnostic s'est ainsi terminée, après s'être étalée sur une durée d'environ 3 semaines.

Briser la glace pour parler de sexualité

Sans plus attendre, nous avons démarré la phase 2 du projet, la formation. Au courant de celle-ci, nous avons développé des ateliers sur les sujets identifiés dans la phase de diagnostic. Ces ateliers allaient ensuite être présentés dans un séminaire de 3 jours intenses destiné aux jeunes de la communauté. L'objectif de ce séminaire était de former des jeunes sur les thèmes de santé sexuelle et d'égalité femme-homme, qui pourront par la suite devenir des leaders communautaires et organiser des activités et ateliers à leur tour. Une de nos plus grandes inquiétudes était de ne pas pouvoir mobiliser assez de jeunes pour assister à nos ateliers. Le séminaire allait avoir lieu durant les vacances  des adolescent(e)s, et comme au Québec, les adolescent(e)s d'ici aiment bien profiter de leurs vacances en faisant autre chose qu'apprendre. Toutefois, vu la nature du sujet abordé, nous pensions attirer au moins quelques personnes curieuses d'en connaître plus sur ce qui est encore très peu discuté dans les familles ici.

Nous avons été agréablement surpris d’accueillir 19 adolescent(e)s de 11 à 20 ans. Disons que la pression était à son maximum pour que nos ateliers soient intéressants, divertissants, dynamiques et mémorables! Tout ce beau monde réuni, nous avons commencé la journée en tentant de briser la timidité juvénile de jeunes qui se connaissaient plus ou moins, pour les encourager à participer et à oser poser des questions à voix haute sur les vulves, les orgasmes, le consentement, et tout autant de sujets qui sont habituellement à peine murmurés.

La première journée, nous avons couvert les bases: mythes les plus communs sur la sexualité, anatomie masculine et féminine, réponses sexuelles et méthodes de contraception. L’atelier comprenait bien sûr une démonstration de la manière de mettre un condom, on ne change pas les classiques! Anecdote : le condom a dû être posé sur une carotte achetée le matin même, parce que les modèles anatomiques que nous étions sensés recevoir se sont perdus en cours de route.

À travers des montagnes de rires gênés et quelques silences, la journée s'est bien déroulée et a donné le ton au reste du séminaire.Au deuxième jour, nous avons eu l'heureuse surprise de voir de nouveaux visages s'ajouter au groupe. Pour nous, ça a été un signe vraiment encourageant que ce que nous faisions était apprécié, et que les jeunes en avaient parlé à leurs ami(e)s. Une travailleuse sociale costaricaine est venue aborder les thèmes délicats de la violence sexuelle, l’inceste et la pédophilie. Finalement au troisième et dernier jour, nous avons présenté nos derniers ateliers, sur la maternité et la paternité, les droits sexuels et reproductifs, la diversité sexuelle, l'égalité femme-homme et les risques à l'adolescence. Ce fut une journée avec beaucoup de discussions ouvertes et animées, où toutes et tous ont pu s’exprimer. Les ateliers se voulaient participatifs, avec par exemple une course à obstacle avec un faux ventre de femme enceinte pour démontrer l'impact physique d'une grossesse, ou bien le "jeu des privilèges" présenté dans le cadre de l'atelier sur l'égalité de genre.

Finalement, à la fin du séminaire, nous avons demandé aux jeunes de laisser leur marque en écrivant ou en dessinant sur une bannière une chose qu'elles et ils retenaient de notre séminaire, et sur une autre bannière une chose qu'ils aimeraient laisser derrière, que ce soit un préjugé ou une mauvaise information. Ça a donné lieu à deux magnifiques collections de dessins, de paroles et de souhaits qui nous ont vraiment ému(e)s. Nous avons aussi organisé une cérémonie de "remise de diplômes" pour remercier les jeunes de leur participation. Nous voulions qu'elles et ils ressentent de la fierté à l'idée de s’être impliqué(e)s pour s'informer. Le geste été grandement apprécié, et presque tous les jeunes se sont mis à nous faire signer leur diplôme, à prendre des selfies avec nous, des photos de groupe, etc. Cela nous a aussi fait réaliser que même si pour nous, les ateliers ne semblaient pas parfaits, parce que notre espagnol ne nous permettait pas d'exprimer nos idées pleinement, parce que nous n'avions pas tous les moyens techniques auxquels nous sommes habitués au Québec ou parce que nous avons dû changer des détails à la dernière minute, l'effort que nous avions mis pour parler d'un sujet tabou, à des jeunes qui ne demandent qu'à savoir, avait vraiment fait une différence. C'est ainsi que se sont clos les trois jours de notre séminaire, en même temps qu'un gros morceau de notre projet.

Une formation par des profesionnel(le)s costaricain(e)s

En parallèle, nous organisions en même temps un événement qui se nommait Encuentros para jovenes où des professionnel(le)s costaricain(ne)s viendraient donner des conférences et des ateliers sur des sujets plus généraux, encore une fois pour les jeunes. Ces deux jours de rencontre ont eu lieu à Cristo Rey, communauté voisine de Longo Maï, et notre rôle cette fois-ci a été d’appuyer au niveau de la logistique. Encore une fois, nous ne savions pas vraiment combien de personnes allaient venir, mais notre expérience avec le séminaire nous avait appris que ceux et celles qui viendraient en profiteraient, et c'est honnêtement la seule chose que l'on espérait. Environ le même groupe de jeunes présent(e)s au séminaire s’est présenté.

Ensemble nous avons appris sur des sujets comme les projets de vie, le harcèlement de rue (pour les femmes), la masculinité (pour les hommes), les drogues et l'accès aux services de santé.

Ces deux activités se sont déroulées dans la même semaine pour pouvoir profiter des vacances des jeunes, c'est donc dire que cette semaine a été satisfaisante, mais également éreintante. Au moment d'écrire ces lignes, nous nous préparons à partir pour trois jours de mi-stage au parc national de Manuel Antonio où nous pourrons nous reposer et décanter.

Et ça continue!

Au retour nous aurons du pain sur la planche, et moins d'un mois devant nous pour tout accomplir. En vrac, nous voulons organiser une journée de festivités avec comme thème la santé sexuelle et reproductive et l'égalité femme-homme, ouverte à tous et remplies d'activités ludiques. De plus, nous allons animer nos ateliers du séminaire les mieux réussis dans des écoles secondaires de la région. Nous voulons aussi organiser un atelier pour les femmes sur les menstruations, sujet assez tabou ici. Bref, des tonnes de choses à préparer, organiser et coordonner. Nous sommes enthousiastes pour la suite du projet, surtout après cette semaine haute en émotions et en péripéties, mais très enrichissante.


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