Canoter à la rencontre de l'Autre

Une délégation de Mer et Monde s’est jointe, l’espace de 5 jours, au projet de pèlerinage en canot initié par les Jésuites, inspiré des appels à l’engagement de la Commission vérité et réconciliation du Canada. Le projet, qui a réuni diverses cultures formant le tissu de ce qu’est le pays aujourd’hui, visait à favoriser le dialogue et la réconciliation entre autochtones, francophones et anglophones.

D’Ottawa jusqu’à Kahnawake, territoire de la Première nation Mohawk, le groupe de 8 pagayeuses et pagayeurs se sont joint à la trentaine de personnes qui avaient débuté ce voyage quelques 800 km en amont. Des membres du conseil d’administration, employées et formatrices de Mer et Monde ont ainsi pu vivre une expérience de réflexion et de rapprochement interculturel hors du commun.

L'accueil et la solidarité

Pour Marilia Dufourcq, la rencontre s’est faite tout naturellement : « Quand nous sommes arrivé(e)s à Ottawa pour nous joindre aux pèlerins, on a bien vu l’humble fierté dans leurs yeux, la puissance du groupe, et l’importance de la raison pour laquelle on allait pagayer ensemble. Leurs rabaskas nous ont embarqué(e)s tout naturellement, on avait plus qu’à suivre la vague.»

Certains liens entre le pèlerinage en canot et le travail d’initiation à la coopération internationale que fait Mer et Monde étaient clairs d’entrée de jeu, mais d’autres se sont révélés en cours de route.  Il y avait dès le départ cet intérêt à la rencontre interculturelle, d’aller apprendre les un(e)s-des autres à travers les cultures et histoires respectives, mais l’expérience s’est aussi révélée être une belle leçon de travail d’équipe, compte tenu du rythme intense et des 30 à 45 km avalés par jour. Valérie Charron a noté ce rapprochement : « Pagayer huit heures par jour dans le même rabaska tisse des liens très forts, même si le silence peut régner longtemps et qu’il existe parfois une barrière de langue.» Ce qui a touché Denis Lefebvre, c’est la solidarité qu’il a senti entre les pagayeuses et pagayeurs: « Dans le canot, il n’y avait plus de jeunes, de vieux, d’anglophones, d’autochtones, de francophones, de femmes ou d’hommes. Nous pagayions ensemble, vers un objectif commun. Ça me fait penser que lorsque toute l’humanité pagayera ensemble, en harmonie, comme nous l’avons fait, on pourra alors dire : « mission accomplie ».

Échanger pour mieux comprendre

Après les journées de canotage, des ateliers étaient organisés à certaines haltes afin de mieux comprendre l’histoire et les réalités actuelles des peuples autochtones. Ce fut le cas lors de l’exercice des couvertures de l’organisme Kairos, où les personnes participantes ont été invitées à se mettre à la place des Autochtones lors d’un jeu de rôles. Un moment marquant pour Nicole Laflamme : « L’activité nous a fait revivre l’expérience historique de dépossession des terres afin de comprendre les conséquences du colonialisme.  J’ai ressenti une charge émotive incroyable tout au long du récit. »  Pour Laurie Bissonnette, la richesse des discussions partagées après ces ateliers permettaient à chacun(e) de mieux comprendre l’autre et d’apprendre à apprécier leur diversité : «C'est grâce à ces moments que des relations interpersonnelles peuvent se construire et qu’ainsi, nous pouvons avancer dans le processus de réconciliation ». 

Pour le groupe de pagayeuses et pagayeurs cumulant des expériences de solidarité internationale au Sénégal, au Nicaragua et ailleurs dans le monde, ce pèlerinage en canot s’est avéré une opportunité d’échange sur le plan interculturel, mais également au niveau spirituel et religieux, tant auprès des personnes autochtones que Jésuites. Nicole Laflamme explique d’ailleurs un rituel autochtone que le groupe a vécu: « J’ai vécu des moments touchants lors du « smudging » auquel Paul Jacques, un des guides de canot, procédait chaque matin avant notre départ. Il s’agit de purifier l’âme des pensées négatives en ramenant, vers différentes parties de notre corps, la fumée produite par la sauge qui brûle dans un coquillage. » De plus, en côtoyant des Jésuites et en en apprenant davantage sur leur implication dans la société et leurs projets personnels, les membres de la délégation ont pu mieux comprendre leur philosophie et leurs aspirations. Bref, ces échanges furent une application locale du principe d’Être avec pour faire ensemble que promeut Mer et Monde dans ses stages outre-mer.

Le chemin de la réconciliation

Suite à six années de travaux, la Commission de vérité et réconciliation du Canada a lancé 94 appels à l’action portant entres autres sur l’éducation, la protection de l’enfance, la santé et la justice, destinées aux gouvernements, à l’Église catholique, aux médias et aux citoyen(ne)s. Les Jésuites ont présentés leurs excuses pour leur rôle dans la colonisation et on reconnut leur faute dans les pensionnats autochtones de Spanish, en Ontario. C’est ainsi qu’ils ont lancé le projet de pèlerinage en canot : « Nous voulons créer des ambassadeurs de réconciliation. Nous voulons qu’ils puissent partager leurs expériences et relations avec les autres pagayeurs et avec leurs communautés », a expliqué Erik Sorensen, chef de projet, en entrevue à Radio-Canada, le 1er août dernier.

Hors de tout doute, l’expérience a démontré que les citoyen(ne)s peuvent et doivent agir. Les membres de la délégation de Mer et Monde en sont convaincu(e)s. Pour Amélie Venne, le concept des deux solitudes entre francophones et anglophones au Canada devrait être renommé: « On ne peut pas faire l’autruche, il y a une troisième solitude qui demeure avec les gens des Premières nations. Ce projet a été un petit pas vers meilleure compréhension de ce qui s’est passé et des séquelles laissées, mais il reste tant à apprendre et à faire, il faut bouger! »  Un autre pas à amorcer est de réagir face aux inégalités sociales qui persistent. Laurie Bissonnette lance un appel en ce sens : « Il est primordial de mettre un pied devant pour reconnecter avec une histoire qui reconnait le racisme et le colonialisme imprégnés dans les sociétés canadiennes et ainsi se mettre en position d'écoute et d'ouverture face aux différentes réalités des personnes autochtones. Aujourd'hui est le meilleur moment pour commencer.»

L’expérience intense de groupe, la vulnérabilité face aux éléments de la nature une fois sur l’eau et les conversations en canot ont permis des rapprochements, des amitiés et des souhaits pour le futur, comme l’exprime Marilia Dufourcq : « Je suis fière d’avoir uni ma force morale et physique à mes sœurs et à mes frères des Premières nations. Puissent ces humaines et ces humains-là, pour qui je ramerai ad vitam æternam, gagner la paix et retrouver leurs droits, ceux de leurs ancêtres, ceux de leurs enfants. »

Avoir mieux compris les injustices qui ont été commises dans le passé auprès des Autochtones et celles qui continuent malheureusement encore aujourd’hui, s'engager davantage pour la justice sociale et être des agent(e)s de changement, au Canada comme ailleurs dans le monde, voilà des legs, parmi tant d’autres, que ce pèlerinage aura certainement laissé au groupe.


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